Introduction

I. Origine des sceaux

Il n’est pas possible de mettre sur pied un armorial ou s’adonner à l’histoire d’un pays, d’une région, d’une ville ou des familles sans une étude préalable des sceaux employés au cours des siècles ; sceaux qui, en réalité, sont antérieurs à la science héraldique. Son usage remonte avant l’apparition de l’écriture et est déjà attesté en Mésopotamie au IVe millénaire avant notre ère. Depuis les Sumériens, les sceaux furent couramment employés. L’Europe occidentale ne fut point à la traîne et toutes les couches de la population l’employèrent peu à peu.

Baudouin II de Jérusalem (1071-1098), sceau de 1089 soit avant la naissance des armoiries
(vers 1150). On remarque l'absence de bouclier support traditionnel des armoiries.

Depuis les temps les plus reculés, l’apposition du sceau servit à témoigner de la présence, de la participation ou du consentement des personnes qui figuraient sur les actes. Tenant lieu de signature ou la parachevant, il faisait en quelque sorte partie de la personnalité. En outre, il corroborait l'authenticité des documents. De là, les peines terribles qui frappaient ceux qui osaient dérober ou falsifier un sceau. En cas de perte ou de vol d’un sceau, il fallait obligatoirement avertir la Justice afin d’arrêter toute tentative d’abus.

Le sceau est une empreinte obtenue sur un support par l’apposition d’une matrice présentant des signes propres à une autorité ou à une personne physique ou morale. Cette empreinte se fait généralement sur de la cire, par opposition à la bulle imprimée sur une matière métallique. L’emploi du sceau sert soit à clore et à garantir le contenu d’un courrier, soit affirmer sa provenance, soit authentifier un acte : ces trois intentions ne sont toujours pas réunies. Si le sceau était très apprécié des officiers publics, qui y voyaient un signe d’authenticité pour la correspondance, il devint vite armorié, car chacun tenait à y placer ses armes bien en évidence. Nous devons aux bénédictins de savantes études sur les sceaux du Moyen Âge. Grâce à cette compilation d’écrits, de détails et de dessins, il est permis de se faire une idée des temps passés. Une science nouvelle naquit : la sphragistique (du grec sphragis : sceau), autrement dit la sigillographie (du latin sigillum : sceau). Grâce aussi à cette discipline, la science héraldique avec ses particularités propres emboîta le pas.

Les sceaux présentent cependant quelques inconvénients. Bon nombre d’entre eux subirent les outrages du temps, ils sont alors brisés, abîmés, usés, voire détachés de leurs supports. Leur interprétation n’est pas facile, car, si l'on ajoute à cela l'absence de couleurs pour les armoiries surtout, et même l’absence des guillochis les représentant, il faut déployer toute son énergie pour arriver à les déchiffrer. Il faut savoir aussi que, pour le Moyen Âge seul, plus d’un demi million de sceaux ont été conservés. Ce patrimoine est entre de bonnes mains.

Sceau de la ville de Mons datant de 1128.

II. Sorte de sceaux

1. Nommé sigillum, seel, scel, sael, sagel ou seyau suivant le lieu et les époques, le sceau fut d’abord utilisé par les hauts personnages. Les rangs subalternes : bourgeois, clercs, magistrats inférieurs, châtelains, chanoines, et les diverses administrations suivirent le mouvement. Les cas de fraudes, les abus dus à leur utilisation et les falsifications créèrent souvent un doute quant à leur authenticité. En effet, tant que le sceau était « appendu » à la charte par un lien quelconque, il était facile et tentant de prendre connaissance des missives secrètes. On apporta une réponse par l’emploi du contre-sceau.

2. Le contre-sceau ou contra-sigillum, sigillum secretum, sigillum secreti, clavis veritas oucustos sigilli était employé par les seigneurs et les personnages ecclésiastiques qui intervenaient fréquemment dans les actes publics. Son but était d’assurer l’authenticité du sceau employé et d’empêcher celui-ci d’être altéré ou détaché, afin de mieux mettre le courrier à l’abri des falsifications. Son usage fut inauguré par la chancellerie de la cour de Rome. Parmi les souverains, ce sont les rois d’Angleterre, Édouard le Confesseur et Guillaume le Conquérant (XIe s.), qui en firent usage les premiers. Louis XII, roi de France, en 1498 employait un sceau le représentant comme roi de France et le contre-sceau comme duc d’Aquitaine. À l’origine, le contre-sceau était aussi grand que le sceau lui-même, mais il devint plus petit par la suite.

Philippine, épouse de Jean II d'Avesnes, sceau et contre-sceau 1302.

3. Les différents noms

Grand sceau

Le grand sceau ou signum, sigillum magnum ou magnus, sigillum pontificale ou rotundum, sigillum majestatis, était réservé aux empereurs, aux rois, aux Grands de l’Église, etc. Il pouvait être de différentes grandeurs. On trouve également des sceaux doubles, c’est-à-dire gravés tant sur l’avers que sur le revers.

Cachet

Le cachet ou signum, signetum, parvum sigillum, est un sceau d’or, d’argent, de cuivre, de verre ou de pierre précieuse sur lequel sont gravés des armoiries, un chiffre ou un emblème. Toutefois l’or n’était pas trop employé en pratique.

Cachet de communautés

Indépendantes, les communautés firent usage de petits cachets simples, souvent dépourvus de légendes, n’offrant qu’un monogramme, un blason, un emblème, un attribut ou l’image du saint patron.

Scel aux causes

Le scel aux causes ou sigillum ad Causas servait aux différents bailliages et aux vicomtés (ou vicomtées). Il est particulier à ces juridictions.

Scel d’armes

Le scel d’armes était un sceau employé aux XVe et XVIe siècles par des gentilshommes, il était souvent armorié.

Scel perdu

Tout sceau ne servant plus, par exemple à la mort de son propriétaire, était détruit ou repris par les instances concernées. Son importance et sa valeur authentique étaient encore telles, au XVe siècle, que son propriétaire prenait grand souci de sa perte. Ne courait-il pas le risque qu’on en fit usage à son insu ? En cas de perte, il s’adressait donc immédiatement au Magistrat.

Scel suspect

Le scel suspect est un sceau qui ne correspond pas à l’original, qui semble être contrefait, qui semble placé sur un autre support non employé dans le lieu d’origine ou qui est non réglementaire.

Anneau du pêcheur

L’anneau du pêcheur ou annulus piscatoris servait aux papes pour sceller en cire les lettres familières et autres écrits de cette espèce.

Anneau sigillaire

L’anneau sigillaire ou annuli signatorii, sigillaricii ou cerographi est un anneau à sceller. Il remonte à la plus haute antiquité. Le sceau était attaché aux actes à l'aide de cordons de cuir, de parchemins, de soie, de fils d’or et de soie tressés ou de rubans. L’emploi des fils d’or et de soie tressés était surtout réservé aux souverains. Plus tard, les sceaux furent « plaqués » directement sur le document.

Signet

Le signet ou signetum désigne un petit sceau, un sceau secret ou un cachet.

Bulle

Enfin, ne confondons pas sceaux et bulles. Celles-ci sont fabriquées à base de métal : or, argent, cuivre ou plomb. Ces “bulles” sont parfois de grandes dimensions, un écrin spécial était prévu à cet effet afin de ne pas déchirer le parchemin ou le document en question vu leur poids !

III. Sceaux de majesté et sceaux équestres

On sait que les empereurs et les rois seuls avaient le droit de se servir de sceaux dits de majesté et sur lesquels ils étaient représentés assis sur le trône avec les insignes de leur dignité. Cet usage fut observé d’une manière si rigoureuse que, par exemple, l’avers des sceaux des rois d’Angleterre les représente sur le trône comme rois et le revers les offre à cheval, comme ducs de Normandie et feudataires des rois de France. Sur l’avers des bulles d’or de Baudouin de Flandre, ce prince est gravé couronné avec le sceptre et le globe et assis sur le trône, tandis qu’on le voit sur le revers, à cheval avec l’écu aux armes de Flandre, représenté comme comte de Flandre et feudataire de l’empereur du Saint-Empire.

Baudouin V Le Courageux (1171-1195), sceau et contre-sceau 1195.

Guillaume de Flandre (oncle de Baudouin VI)
1203-1286

Plus tard, depuis le XVe siècle, des puissants feudataires adoptèrent l’emploi de sceaux de majesté, ainsi le fit, François, duc de Bretagne, comte de Montfort et de Richmond. Le grand-duc de Lituanie, Witout, se servit aussi d’un sceau de majesté quoiqu’il fût feudataire de son cousin Jagal. Dans l’empire de Russie, les oukases des différents tsars concernant l’emploi des sceaux ne manquèrent pas. Ainsi, on peut retenir de l’impératrice Catherine Ière, dans son oukase du 11 mars 1726, qu’elle se fit faire un cachet d’or avec l’aigle aux ailes éployées. Un autre cachet de style allégorique, celui-ci, représentait un lacs d'amour placé entre ciel et terre accompagné de la devise « La mort seule me dénoue ». Il servait uniquement pour sa correspondance particulière.

Les ducs de Bourgogne nous laissèrent une administration digne de ce nom dans l’office des sceaux et les diverses fonctions en chancellerie. À la tête de l’administration se trouvait le chancelier qui prenait la direction de la chancellerie, c’est-à-dire du « Service du sceau et du service des écritures royales ». Il était suivi par le gouverneur de la chancellerie, véritable représentant du chancelier au tribunal de la chancellerie aux contrats du duché. On trouvait ensuite le scelleur, gardien du sceau secret ; l’audencier, comptable, qui percevait les émoluments du grand sceau ; le contrôleur dont la mission était la surveillance; les chauffe-cire, qui scellaient les actes et gardaient les sceaux de moindre importance, etc. Bref, un véritable ministère des Finances. Il nous reste de tous ces temps, en France, le Garde des sceaux ou ministre de la Justice!

Ferrand de Portugal, premier mari de Jeanne de Constantinople,
sceau et contre-sceau 1212.

IV. Les couleurs

La cire était la plus employée pour l’usage des sceaux. Sa couleur variait suivant les additifs incorporés pour les durcir. Nous trouvons ainsi des sceaux naturels, rouges, verts, bleus, bruns, noirs, violets, or, argentés. L’emploi de deux cires de couleurs différentes était également courant. Des règles strictes s’établirent en vue de l’emploi des couleurs sur certains actes. Il en était de même concernant la couleur des divers rubans ou cordelettes auxquels ils étaient attachés.

Un exemple frappant de l’emploi des couleurs tant du ruban que du sceau lui-même nous vient de France. Dans ce pays, la cire jaune était réservée pour sceller les édits royaux. Louis XI accorda à René d’Anjou, roi de Sicile, le droit de sceller ses édits en Sicile ou en France avec la cire jaune. Ces sceaux armoriés étaient, au XVIIe siècle :

de cire jaune, apposés sur une petite bande ou queue de parchemin attachée à l'acte ;

de cire verte, lorsqu’ils étaient apposés sur lacs de soie verte ou rouge ;

de cire rouge pour le Dauphiné ;

de cire blanche pour les lettres de chevalier de l’ordre du Saint-Esprit.

V. Les formes

Les formes que peuvent prendre les sceaux sont extrêmement variées. On y trouve à des degrés divers la forme géométrique : ronde, carrée, triangulaire, rectangulaire (verticale ou horizontale), en losange, ovale, pentagonale, hexagonale, octogonale; mais aussi ogivale (une extrémité pointue), en navette (deux extrémités pointues), ovoïdale (en forme d’oeuf), piriforme (en forme de poire), en forme de coeur, amygdaloïde (en forme d’amande), hémicycloïdale (en forme de demi-cercle), trilobée, quadrilobée, etc. Le sceau est aussi gravé « en cuvette », c’est-à-dire en creux par rapport à ses bords.

VI. Les différents types

On classe les sceaux suivant ce qu’il représentent : armoiries, symboles, monuments, constructions, etc. ; leur diversité est donc grande. Ainsi nommés :

Barbare : qui imite l’antiquité.

Laïc : de majesté, figure royale assise ;

Équestre : cavalier pour la guerre ou la chasse, il peut être contourné, c’est-à-dire regardant vers la droite ;

Pédestre : personnage debout ou à mi-corps ;

Armorial : avec des blasons ;

Topographique : reproduction de monuments ;

Ecclésiastique : sacerdotal, ecclésiastique debout, assis, à mi-corps ;

Hagiographique : Dieu, la Vierge, les Saints et Saintes ;

En orant : avec ou sans les symboles de l’Église.

Arbitraire : têtes humaines, animaux, végétaux, objets, armes, astres, ustensiles, outils, monogrammes, etc.

De fantaisie : monstres, fabliaux populaires, scènes de la vie publique ou privée, etc.

Guillaume I d'Avesnes (Le Bon) 1304-1337.
Contre-sceau et sceau 1309 et 1311.

VII. Ingrédients

Si les sceaux sont en cire pour la plupart, ils peuvent être additionnés d’une ou plusieurs autres matières pour les rendre plus résistants aux outrages du temps et à l’usure, c’est-à-dire à les rendre moins cassants. La cire sera alors mélangée à des colorants venant d’une ou plusieurs matières : résine, craie, cendre, poix, plâtre, oxydes divers, etc. Des cheveux et des crins restent parfois emprisonnés dans leur gangue. Ce qui est plus curieux encore, des sceaux ont conservés des marques bien distinctes, qui nous laisse rêveur : un poil de barbe de son possesseur, l’empreinte d’un pouce ou l’empreinte de dents.

Leurs dimensions varient en général de 5 à 120 mm, allant parfois jusqu’à six pouces (150 mm). Ces derniers sceaux sont si grands et si lourds, donc si fragiles, qu’on les plaçait dans des boîtes en bois ou en métal et imprimés en cire blanche ou en vermillon sur deux queues de parchemin traversant le fond de la boîte avant d’être « appendus » aux parchemins.

VIII. Les matrices des sceaux

Une matrice de sceau est un instrument portant en creux et à l’envers, les marques distinctives d’une autorité ou d’une personne physiquement morale, et destiné à être imprimé sur un support. Suivant la position sociale et les moeurs du temps, la matrice était fabriquée en or, en argent, en cuivre, en bronze (cuivre et étain) et en laiton (cuivre et zinc). Bientôt, le métal, moins coûteux, fut employé et il fit place ensuite aux cachets de caoutchouc, bien connu de tous. Il existe, dans nos musées, bien des formes les concernant. Certains sont de toute beauté.

IX. Conservation des sceaux et de leur reproduction

Tout sceau détaché a perdu son certificat d’origine, on n’en peut préciser la date et dès lors son importance est beaucoup amoindrie. Aussi, si un sceau se détache d’un parchemin ou d’un document quelconque, il doit être remis en place avec le plus grand soin. Mais on doit recommander par-dessus tout de procéder au moulage des sceaux, non seulement des plus beaux et des mieux conservés mais de tous ; c’est le seul moyen d’assurer leur conservation à l’avenir, car tôt ou tard il se détruira.

Nous avons la chance, ici à la Bibliothèque Universitaire Morétus Plantin (B.U.M.P.) d’étudier des sceaux armoriés datant pour la plupart des XVIIIe et XIXe siècles, bien qu’ils soient eux aussi détachés des documents ou des enveloppes. La science héraldique nous permet souvent de les dater et parfois de leur donner le nom du propriétaire. Grâce aux sceaux gémellés, la date du mariage d’un couple nous fait découvrir une date imparable. Toutes ces armoiries décrites nous offrent une vue d’ensemble assez complète des sceaux utilisés dans nos régions au cours de ces deux siècles notamment et des différentes familles concernées.

Guillaume IV de Bavière (1404-1417),
sceau 1412.

X. Conclusions

Par leurs détails archéologiques et épigraphiques, les sceaux présentent une mine de renseignements très précieux et inimaginables ! En effet, chaque détail nous mène sur des sentiers insoupçonnés : le pays ou la province d’origine, l’importance du personnage ou du bâtiment architectural représentés ; la faune et la flore parfois ; les monuments souvent disparus, des légendes et des scènes historiques.

Quant aux sceaux armoriés, ils nous donnent moult détails précis concernant un personnage. En se penchant sur l’histoire de celui-ci, elle nous mène vers une connaissance plus poussée de la famille, souvent vers une généalogie et l’étude de ses divers membres par les brisures des cadets de famille par exemple. Ces sceaux complètent les données des actes rédigés, le sobriquet éventuel, les métiers exercés et les alliances contractées grâce aux armoiries gémellées. Bref, ils nous ouvrent de vastes horizons sur les plans de la grande comme de la petite histoire !


Rubrique rédigée par le C.R.E.S.H.S.
Centre de Recherche et d’Étude en Sciences Héraldique & Sigillographique
Remerciements à MM. Adolphe Prouveur - Francis Hoebek - Paul Sanglan.